SUJET PRESQUE INABORDABLE

Au printemps de 1975, je quittais Montréal pour aller m’installer en Abitibi. Parmi les raisons qui motivaient ce geste, il y avait le fait que je ne flusherais plus ma toilette dans le fleuve Saint-
Laurent.

J’allais assumer mes excréments.
Dans cette petite ferme abandonnée depuis dix ans, le premier bâtiment que je construisis fût une bécosse comme
celle de toutes les fermes nord -américaines du XXème siècle : un bâtiment de trois pieds par trois pieds avec un siège
percé au dessus d’un trou de quatre pieds pour recevoir nos offrandes quotidiennes.

Dans ma tendre jeunesse, combien de fois j’entendis de la voix de ma mère ou de tous les curés du paysage, que j’étais
né avec une tache, un péché originel, une saleté que je devrais porter dans ma conscience jusqu’à mon dernier soupir.

Cela me toucha fort et m’amena à chercher en moi à travers des années et des décennies, cette saloperie que je portais
toujours dans un recoin de mon être. Jusqu’au jour où, bien assis sur mon trône, portes grandes ouvertes sur la forêt
abitibienne, l’idée me vint, qu’en fait, cette tache originelle, j’étais en train de la faire en lâchant sous moi un étron de
taille tout à fait respectable.

Le péché originel serait de faire caca. Et pourquoi pas? Quelle est la fonction la plus détestable de notre être si ce n’est
de devoir lâcher où que nous soyons notre caca quotidien. Nous pouvons être tout bien habillé, le visage luisant de propreté, ne semblant avoir rien qui retrousse dans tout notre
apparat, une fois par jour, en moyenne, il faut se mettre les fesses à l’air pour laisser ce qu’on ne veut pas voir, ni sentir et
si possible ne pas nommer du tout, ces déchets qui sortent impérativement de notre bas-ventre, beau temps mauvais
temps pour nous maintenir en santé. Cette constatation suffit pour remettre en doute tous les actes de foi de toutes les religions. Et combien, au Moyen-Âge,
se sont enfermés dans des couvents, des monastères pour pouvoir, dans la solitude de leurs cellules, maîtriser leurs corps
en l’affamant pour qu’il ne puisse plus faire « ça »; vivre des semaines entière sans faire caca. Vivre propres comme des anges.

Je posais la question à mon institutrice de sixième année : « Est-ce que les anges font caca? »
Stupéfaction!
Puis la réponse dogmatique : « Non! » Débat clos.

Mais revenons à ma bécosse. Assis sur mon trône, je me rendis compte qu’installé de cette façon, je ne faisais
qu’accumuler les déjections dans un trou et une fois rempli, creuser un autre trou? Non. Il fallait modifier cela.
Assumer ses excréments.
La vrai façon de recycler nos déchets est le séchage. Les animaux sauvages nous montrent bien la voie : disperser le
fumier quotidien et laisser les éléments faire leur travail.

J’ai découvert avec joie que nos scientifiques commencent à se réveiller à cette réalité. Dans le National Géographic du
07/2019, pages 30 et 31 on peut voir des maquettes de bols de toilette avec des systèmes de séchage qui sèchent solides
et liquides.
Réalisable? Patience. Ça n’est pas fait. Est-ce très compliqué comparé à mon système? Et le papier? Qu’en fait-on? Dans mon système, le papier qui sert à nous essuyer est mis à part dans un sac brun et brulé régulièrement dans le poêle
de chauffage ou dehors dans le feu de feuilles.
Dans le système qu’on connaît, c’est le papier qui pose un gros problème parmi d’autres. On sait qu’il bouche
systématiquement les champs d’épuration.

Cela suppose qu’on fasse notre caca consciemment. Séparer tout de suite papier souillé et caca. Le bol de toilette ne
doit pas être le fourre-tout de tous nos déchets, nos saletés.

Faire nos besoins dans l’eau est une aberration. Croire qu’en tirant la chasse on fait disparaître notre péché originel.
Quel comportement aveugle!
Nos lacs, nos rivières, nos fleuves, nos océans endurent mal cette pollution.
Les meilleurs endroits où déposer nos excréments sont les champs et les boisés. L’air ambiant, le vent, la pluie les
décomposent lentement mais sûrement.
Les habitants de l’Inde ancienne avait adopté cette façon de recycler et trouvait inimaginable de faire leurs besoins dans
le lieu qu’ils habitaient.
Evidemment avec une population galopante on imagine que cette façon de faire a ses limites. Et l’on comprend les
Romains si intelligents installant des égouts qui expédient le tout dans le Tibre, la méditerranée et l’océan.
Aujourd’hui, toutes les villes, tous les villages, toutes les agglomérations d’humains font partie de cette abréviation de
l’homo déliriens.
Revenons à ma bécosse. Je décidai de lui faire une porte arrière à hauteur du sol pour pouvoir insérer un réceptacle avec,
au fond, de la sciure de bois, avec une corde pour le ressortir et aller le vider dans mes champs et mes boisés tout près.
Le réceptacle que j’ai adopté est un plat en plastique, 11 pouces par 12 pouces et 6 pouces de haut.
En 1976, j’avais pu, lors d’un voyage en France, passer une fin de semaine dans une famille paysanne. Chez eux, il y
avait, à l’arrière de la maison une bécosse que je pus fréquenter. Le matin, une brassée de paille attendait mon offrande.
Le soir, paille et offrande avaient disparues et se retrouvaient dans le tas de fumier tout près.
En revenant au pays, j’adoptai cette façon faire car à ce moment-là, j’avais le fumier de quatre chevaux, une vache,
quatre chèvres, et trente moutons; assez pour y engloutir nos déchets.

À suivre.


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